Improv For Gamers: Une tonne de briques

ImprovForGamersJe viens de terminer la lecture de Improv For Gamers par Karen Twelves. Ce court ouvrage de 122 pages est publié par Evil Hat Productions, l’éditeur des systèmes FATE et Blades in the Dark.

Les dernières années ont vu les concepteurs de jeux de rôle sur table mettre de plus en plus l’accent sur l’improvisation pour la gestion d’une séance. En effet, les maîtres de jeu sont exhortés à inventer sur-le-champ les personnages rencontrés par les joueurs, les lieux qu’ils visitent et les événements qu’il leur arrive. Cette façon de faire est fortement encouragée dans Blades in the Dark, mentionné plus haut, et activement imposée dans Apocalypse World, qui interdit même à ses « maîtres de cérémonie » de préparer quoi que ce soit à l’avance.

La règle d’or est maintenant: « on joue pour découvrir ce qui se passe ».

On s’éloigne donc de la pratique traditionnelle qui consistait à préparer méticuleusement – ou à acheter – une aventure toute faite et à lire les textes dans les encadrés, c’est-à-dire « jouer pour dévoiler ce qui est déjà écrit ». Disparu le danger de la mise sur rails (railroading) qui forçait joueurs et maîtres dans une ornière profondément tracée. Désormais, par le concours des actions combinées de tous, on va où l’histoire nous mène!

Or, avec cette nouvelle liberté vient le risque de s’égarer. Les étendues qui bordent les rails sont vastes. Il est facile de s’y perdre, d’où une appréhension naturelle de la part des habitués d’un terrain plus balisé. C’est ici qu’interviennent des ouvrages comme celui de Karen Twelves.

Basée sur les techniques utilisées par les professionnels du circuit de l’impro, l’approche de Improv For Gamers est résolument pragmatique. Elle s’articule autour d’une série d’exercices pratiques à faire en groupe, accompagnés par un « facilitateur ». Ces exercices visent à développer chez le participant des réflexes créatifs spontanés, le but étant de cultiver l’habitude de construire une fiction sur des fondations jetées par ses partenaires. L’auteure illustre très bien ce propos en citant l’une de ses sources: « Amenez une brique et non une cathédrale. »

Pour ma part, la leçon la plus marquante que j’ai tirée de ce livre, c’est l’idée de qualifier par degrés le succès (ou l’échec) d’une action sur un jet de dés. Du moment que l’on admet cela, il devient possible d’atteindre des résultats partiels – positifs ou négatifs – et le jeu cesse d’être une suite de propositions NOIR/BLANC aussitôt qu’on sort les dés. Cette façon de faire rejoint les oeuvres de fiction que beaucoup de systèmes récents cherchent à émuler. Les protagonistes de votre série Netflix préférée évoluent dans des mondes en teintes de gris. Leurs victoires sont mitigées par des compromis et leurs défaites apportent tout de même quelques acquis. Certains systèmes ont déjà cette notion intégrée à même leurs mécaniques; au risque de sembler faire leur promotion, je citerai à nouveau comme exemples Blades in the Dark et Apocalypse World. En comparaison, les systèmes plus traditionnels – comme l’incontournable Donjons & Dragons – ont conservé l’approche binaire: on réussit ou on échoue, point barre.

Karen Twelves schématise l’approche par degrés en la ramenant à quatre points:

  • « Oui et »: Un succès tellement éclatant qu’il s’accompagne d’avantages imprévus.
    Exemple: Le barde donne une si bonne performance que l’aubergiste offre au groupe une nuitée gratuite.
  • « Oui mais »: Un succès mitigé par un inconvénient.
    Exemple: Le barde réussit à émouvoir le public, mais il attise la jalousie d’un rival dans la salle, un rival qui pourrait désormais causer du tort au groupe.
  • « Non mais »: Un échec dont on peut réchapper quelque chose.
    Exemple: Le public reste de glace devant le spectacle, mais le barde est ensuite approché par un virtuose qui est prêt à lui donner quelques leçons.
  • « Non et »: Un échec retentissant qui amène des complications désastreuses.
    Exemple: La protagoniste de la chanson grivoise du barde porte le même nom que l’épouse du capitaine de la garde… qui est dans la salle en ce moment.

En procédant ainsi par degrés, le jeu prend plus l’aspect d’une fiction collaborative. Chaque jet de dés devient l’opportunité de faire évoluer l’intrigue plutôt qu’un simple noeud OUI/NON dans un arbre de décisions stérile.

Par contre, si le livre s’avère un petit trésor d’idées fondamentales comme celle que je viens d’évoquer, je déplore son approche trop pratique, même si c’est sa vocation première avouée. Plus de la moitié du contenu de l’ouvrage est constituée d’exercices à faire en groupe. Se rassembler dans un même endroit physique pour faire quoi que ce soit est une proposition difficile en ces temps qui courent et, pour les antisociaux de mon espèce, c’est une proposition difficile, point.

Néanmoins, Improv For Gamers est une lecture que je recommande à quiconque s’intéresse aux jeux de rôle sur table. Que vous vous inscriviez pleinement dans la mouvance des fictions collaboratives ou que vous préfériez les approches plus traditionnelles à la dungeon crawl, il y a fort à parier que les idées dans ce livre feront de vous un meilleur compagnon de table de jeu.

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